As part of a tribute to Abu Nawas, Hassane Choubassi exhibited Khamriyat al Choubassi at Zico House from Wednesday April 4 to Thursday April 12, 2001.
A graduate of ALBA and the School of Advanced Research in Theater Studies in Amsterdam, Hassane Choubassi has conducted numerous video, scenographic and pictorial projects. He is currently a lecturer and program coordinator of the Department of Communication Arts at the Lebanese University, where he teaches media theory.
Khamriyat / Bashic Works gave glory to the verses of Abu Nawas: each canvas, painted with wine, celebrated the drunkenness once praised by the Abbasid poet. Thus, the public was invited to the many counter scenes revisited by the brush of Hassane Choubassi, painted in the name of the freedom to drink or not to drink – as defended by the Baghdadi poetry of the ninth century AD.
An exhibition organized by Zico House (Beirut).
REGARD – Hassane Choubassi : hommage à Abou Nawas – L’éloge de la dissidence
Par TARRAB Joseph, le 13 avril 2001 à 00h00
“À l’heure de la mondialisation, de la globalisation, de l’hégémonie du modèle ultralibéral américain, c’est-à-dire du capitalisme le plus sauvage et le plus prédateur (il suffit d’évoquer la dénonciation sans scrupule et sans vergogne des accords de Kyoto), de l’utilisation unilatérale, sélective, hypocrite et cynique des droits de l’homme comme une arme offensive justifiant toutes les interventions, les sociétés qui peinent ou qui regimbent à marcher au pas se sentent visées dans leurs fondements, leurs principes, leurs traditions, leurs modes de vie et jusque dans leur raison d’être et dans le bien-fondé de leur existence. Cette contestation extérieure qui les met en crise, même si elles ne se l’avouent pas, les incite à sur-réagir à toute contestation intérieure, serait-elle muette et aurait-elle passé inaperçue comme telle pendant des siècles : les vestiges du bouddhisme ont traversé plus de 1 400 ans d’islam sans être assimilés à des survivances d’idolâtrie susceptibles de porter ombrage à la religion régnante. Il a suffi que les taliban se sentent isolés et proscrits internationalement pour que la menace d’idolâtrie – toute hypothétique, d’autant plus que le bouddhisme n’est pas une religion dans le sens classique judéo-islamo-chrétien – passe de la virtualité à l’actualité et commande l’urgence de la destruction des statues géantes et des objets muséaux. Fallait-il que le doute et l’incertitude sur leur bon droit fussent arrivés à leur comble pour qu’une menace imaginaire pousse les responsables religieux à de telles extrémités de bigotisme vandale, même si on peut avancer, dans le cas des taliban, l’argument d’une sorte de délire obsidional. Anathèmes Ce type de réaction à la fois dogmatique et affolée se retrouve dans les interdits de plus en plus fréquents jetés, notamment dans le monde arabe, sur des œuvres littéraires et artistiques classiques ou contemporaines et surtout dans les anathèmes visant leurs auteurs : rien que ces derniers jours, la célèbre écrivaine féministe égyptienne Nawal al-Saadawi a été l’objet, à la suite d’une interview, d’un édit de «takfir» la taxant de renégate, ce qui rend licite son assassinat par le premier zélateur venu, pour des opinions qu’elle professe ouvertement depuis une trentaine d’années et qui sont brusquement devenues intolérables, tandis qu’un chanteur séoudien a été condamné par une «fatwa» similaire le rendant égorgeable à merci simplement parce que la rumeur publique avait insinué, sans que l’auteur de l’arrêté ait pris la peine de s’en assurer, qu’il avait mis en musique et chanté la «Fatiha». On sait les ennuis encourus par Marcel Khalifé au Liban pour avoir chanté un poème de Mahmoud Darwiche évoquant le prophète Joseph. La liste est longue, et l’une des dernières victimes des interdictions d’œuvres littéraires en Égypte est le poète lyrique arabe Abou Nawas décédé à Baghdad vers l’an 193 de l’hégire, 815 AD, et dont les poèmes célébrant le vin et l’ivresse sont sur toutes les lèvres. Plus de 1 200 ans après leur première publication, soudain ces poèmes apparaissent comme capables d’ébranler l’ordre social, de ruiner l’ordre moral, de miner l’ordre religieux. On finira, à ce compte, par interdire les œuvres des poètes soufis qui invoquent le vin comme l’une de leurs métaphores préférées de l’expérience mystique. Il est vrai que même sans cela ils sentent le soufre au nez des tenants de la stricte orthodoxie. Ces interdictions provoquent parfois des levées de boucliers de la part des intellectuels, comme dans l’affaire Khalifé, mais souvent elles imposent un fait accompli pratiquement irréversible. Éternelle actualité Hassane Choubassi (né à Saadnayel en 1970, «cinq ans avant la guerre civile libanaise», précise sa notice biographique) est du nombre de ceux qui prennent au sérieux la responsabilité intellectuelle et sociale de l’artiste et sa participation aux débats de son temps. Et qui, réservés, voire silencieux, n’éludent pas les problèmes, même scabreux, tout en laissant parler leurs œuvres pour eux. Aussi, charge-t-il ses «Khamriyat» (œuvres bachiques) d’adresser un «salut à Abou Nawas à l’heure de son procès», une sorte d’hommage amical, un clin d’œil entendu et bienveillant, un geste de solidarité dans l’épreuve. Les vers du poète abbasside qui magnifient à Baghdad – celui-là même des Mille et Une Nuits – la taverne, la serveuse, le tenancier, les commensaux, la bouteille, le verre, le vin sont toujours aussi immédiatement parlants et percutants que s’ils avaient été composés et consignés hier soir sur le comptoir du légendaire bar Chez André à la rue Hamra, qui a survécu à la guerre et à l’après-guerre, lors d’une joyeuse joute d’improvisations poétiques. C’est peut-être cette indéfectible pertinence, ce sentiment de familiarité et de fraîcheur, cette éternelle actualité en somme qui font peur aux doctes censeurs. Abou Nawas nous touche parce qu’il a su trouver les mots, mieux que nous ne saurions le faire, pour décrire l’intégralité de l’expérience du boire, de la première gorgée à la dernière, et au-delà : «Soignez-moi avec ce qui fut la cause du mal». Il n’a que faire des conseils de consommation de l’alcool avec modération : boire pour boire, autant aller jusqu’au bout de l’ivresse. « Monstration » Choubassi épouse la querelle d’Abou Nawas par esprit de corps et complicité bachique, comme il plaiderait la cause d’un camarade injustement accusé et inculpé, car la communauté des buveurs est sans frontières dans le temps et l’espace. Ce n’est pas Abou Nawas ni son œuvre qu’il entreprend de défendre et d’illustrer ainsi, ils n’en ont pas besoin, mais l’acte de boire lui-même, la culture de la boisson, ou, mieux encore, la liberté de boire (ou de ne pas boire), bref la liberté tout court envers et contre ceux qui prétendent la régenter au nom d’impératifs catégoriques quelconques. Son salut à Abou Nawas «à l’heure de son procès» s’élargit ainsi en un salut à toutes les victimes de contraintes arbitraires, de systèmes autocratiques de pensée et de pouvoir. Bien entendu, il n’argumente pas comme un avocat, il montre comme un artiste, et son installation pourrait être qualifiée de «monstration» : six dessins sur toile à l’encre de Chine bistre avec lavis et coulures au vin rouge représentant chacun un buveur (ou une buveuse) attablé frontalement devant son verre ou sa bouteille. Pas de discrimination sexuelle face à la dive bouteille, ce qui est confirmé explicitement par deux tableaux sur fer et cuivre intitulés l’un «Moi», l’autre Elle. Ces deux tableaux encadrent un moniteur vidéo où passe en boucle un film tourné chez «André» : rien que les gestes rituels de préparation et de consommation des boissons. Ainsi filmés, barmen et clients ont l’air de participer à un cérémonial très ancien, le comptoir et le bar devenant des lieux ethnographiques où se déroulent, dans le face-à-face des fournisseurs et des consommateurs, les us et coutumes d’une étrange tribu. Mais aussi des lieux de mémoire où remontent à la surface les souvenirs du maître de céans initial, André, officiant avec tout le panache de son m’as-tu-vu méditerranéen qui ravissait les premiers clients parmi lesquels on retrouvait les plus beaux noms du théâtre, des arts, de la presse, de la politique. Chez André, c’était l’endroit, avant la guerre, où l’on rigolait à la dernière blague, c’était la bonne humeur d’un Beyrouth huppé, talentueux, prospère et optimiste qui se croyait indécrottable et que Hassane Choubassi n’a pas connu, puisqu’il a le même âge, à peu près, que le bar. Peau de chagrin Face au moniteur, quatre hauts tabourets avec un bonhomme de fer et de plâtre penché en avant comme si l’écran était le comptoir, ou vice versa. Au sol, derrière lui, entre les six toiles, l’une en regard de l’autre, une double rangée de bouteilles vides, ou plutôt vidées, déjà bues chez «André», tel un défi à tous les interdits. Un tel défi est possible à Beyrouth, ville cosmopolite et pluriculturelle, donc relativement tolérante, même si c’est de plus en plus à son corps défendant. Ce défi serait-il actuellement possible ailleurs au Liban : à Saadnayel, le village natal de Choubassi, par exemple, dans la Békaa, au cœur d’un terroir vitivinicole ? Poser la question c’est y répondre : l’aire de tolérance se rétrécit telle une peau de chagrin et pas seulement pour l’alcool qui n’est qu’un emblème de tout ce qui, excitant ou engourdissant l’esprit, l’intelligence, le cœur, l’imagination, les entraîne loin des sentiers battus et des enceintes closes, les rendant dangereux pour l’ordre établi. En adressant ce modeste hommage à Abou Nawas, Choubassi fait implicitement l’éloge de la dissidence au temps du conformisme, de la liberté au temps de la servitude souvent volontaire, du «non» individuel au temps du «oui» collectif. Abou Nawas fut et reste un dissident majeur dans la culture arabe, si dissident et si majeur qu’il fait encore peur comme s’il était notre exact contemporain : contemporains, les vrais classiques le sont toujours. Les autres ne comptent pas. (Zico House)”